impulsion no. 4 – novembre 2025

2X NON LE
30 NOVEMBRE 2025
Pourquoi l’UDF dit non à l’initiative
des Jeunes socialistes et au
«service citoyen».
NOUVELLES DE LA
SECTION UDF NE
Informations actuelles et stratégie pour
la législature 2025-2029.
LES JEUNES UDF
LANCE UNE PÉTITION
Il est temps de prendre position contre
l’extrémisme de gauche!
LA PAROLE DU MOIS«LES CHRÉTIENS N’ONT PAS BESOIN DE LUTTER POUR LEUR AVENIR, CAR IL A DÉJÀ ÉTÉ CONQUIS AU GOLGOTHA.»

Le nouveau paquet d’accords Suisse-UE : une menace pour la souveraineté et les valeurs suisses ?
Contexte : la voie bilatérale à la croisée des chemins en Europe
Philippe Karoubi, membre du comité directeur de l’UDF Suisse

Justice
Chères lectrices, chers lecteurs,
L’appel à la justice est omniprésent. Partout dans le monde, les gens aspirent à la justice, à ce que chacun ait les mêmes chances et les mêmes possibilités. Mais que signifie réellement la «justice»?
MOT D’ACCUEIL
En politique aussi, il y a régulièrement des initiatives, surtout de la part de la gauche, pour instaurer plus de justice. Je suis convaincu que nous ne trouvons la véritable justice qu’auprès de Dieu, notre Père céleste. Sur cette terre, nous ne parvenons pas à la réaliser sous une forme parfaite. Nous pouvons certes essayer de garantir l’égalité par des idées et des mesures, mais la création est déchue et nos efforts restent toujours fragmentaires. Seul Dieu peut être parfaitement juste.
Si nous essayons néanmoins d’instaurer une justice parfaite, nous courons le risque de nous substituer à Dieu. Or, cela ne nous appartient pas. La vie n’est pas juste, et il est important que nous en prenions conscience.
Ce que nous pouvons faire, cependant, c’est réduire les injustices, traiter les gens équitablement et leur permettre de mener une vie qui reste supportable. Il est tout aussi important d’apprendre à faire face aux injustices sans devenir amer.
Et surtout: nous avons besoin de plus d’amour entre les êtres humains. Car l’amour soutient là où la justice semble inaccessible.
Thomas Lamprecht, Vice président UDF Suisse, au Conseil cantonal UDF ZH
Agenda
Prière sur zoom avec le groupe Muraille 2 fois par mois avec Philippe Karoubi et Raymond Morel, les Vaudois sur les thèmes d’actualité.
Assemblée des délégués:
Samedi 10 janvier 2026 à Olten
VOTATION POPULAIRE DU 30 NOVEMBRE 2025
Non à l’initiative extrême des Jeunes socialistes
À première vue, l’initiative dite «pour l’avenir» semble porter sur une taxe climatique inoffensive. Mais en y regardant de plus près, on découvre un mécanisme de redistribution très risqué, aux traits clairement socialistes.
Erich Vontobel, Conseiller national UDF ZH
Non à l’initiative service citoyen
L’initiative populaire «Pour une suisse qui s’engage (initiative service citoyen)» exige qu’à l’avenir, tous les jeunes adultes accomplissent un service obligatoire au profit de la collectivité, que ce soit dans l’armée, dans la protection civile ou dans n’importe quel service civil de milice. Cela bouleverse le système de milice qui a fait ses preuves.
POLITIQUE INTÉRIEURE
L’UDF Suisse dépose un recours contre la votation sur l’e-ID
L’UDF Suisse a déposé dans le délai légal auprès du Conseil-exécutif du canton de Berne un recours en matière de droit de vote concernant la votation populaire du 28 septembre 2025 sur l’e-ID. Ce recours est motivé par l’ingérence illégitime d’entreprises proches de l’État dans la campagne référendaire, qui a porté atteinte à la libre formation de l’opinion des électeurs et influencé de manière illicite le résultat extrêmement serré de cette votation populaire.
Daniel Frischknecht, président UDF Suisse
Référendum contre l’imposition individuelle
Une alliance multipartite composée du Centre, de l’UDC, du PEV et de l’UDF, avec le soutien de l’Union suisse des paysans et de IG Familie 3plus (communauté d’intérêts), a déposé le 9 octobre 2025 plus de 65 000 signatures contre l’introduction de l’imposition individuelle. Le peuple suisse aura désormais la possibilité de se prononcer sur cette réforme lors d’une votation prévue en mars 2026.
Rédaction impulsion
Les jeunes UDF lance une pétition contre l’extrémisme de gauche
Le samedi 11 octobre 2025, une manifestation non autorisée dite «pro-palestinienne» a dégénéré à Berne. Des milliers de personnes se sont rassemblées, des centaines d’individus cagoulés ont formé un groupe agressif: des feux d’artifice ont été lancés contre les forces de police, des barricades ont été érigées et un incendie a été allumé. 18 policiers ont été blessés et au moins 57 bâtiments ont été endommagés, causant des dégâts matériels se chiffrant en millions.
Timmy Frischknecht, président Jeunes UDF Suisse
UDF NE

Soutien de l’Initiative Boussole
Au mois d’avril, nous avons décidé de soutenir activement l’Initiative Boussole. Le comité d’initiative est inter-parti et celle-ci souhaite inscrire dans la Constitution la soumission au référendum obligatoire l’approbation de tous les traités internationaux. Cela implique que tout accord doit être soumis en votation populaire et recueillir la double majorité (des votants et des cantons).
Cyril Leuba, président UDF NE

Le nouveau paquet d’accords Suisse-UE : une menace pour la souveraineté et les valeurs suisses ?
Article supplémentaire
Philippe Karoubi, membre du comité directeur de l’UDF Suisse
Contexte : la voie bilatérale à la croisée des chemins en Europe
Depuis près de trente ans, la Suisse a construit ses relations avec l’Union européenne (UE) par la « voie bilatérale », c’est-à-dire une série d’accords sectoriels négociés sur mesure. Après le refus d’adhérer à l’Espace économique européen en 1992, les accords bilatéraux I (1999) puis II (2004) ont garanti un accès mutuel aux marchés (libre circulation des personnes, transports, agriculture, reconnaissance mutuelle des normes, participation à des programmes, etc.). Cependant, l’UE a progressivement exigé une institutionnalisation de cette relation pour en garantir l’homogénéité : en clair, que la Suisse adopte de façon dynamique l’évolution du droit européen pertinent et accepte un mécanisme de règlement des différends impliquant la Cour de justice de l’UE. Ces demandes ont abouti à un projet d’« accord-cadre institutionnel » en 2018, mais celui-ci a été refusé par la Suisse en mai 2021 en raison de points jugés inacceptables, touchant notamment à la souveraineté nationale, à la protection des salaires et aux aides d’État[1][2]. La rupture des négociations en 2021 a laissé les relations Suisse-UE dans une impasse, l’UE gelant l’accès de la Suisse à certains programmes (par exemple le programme scientifique Horizon Europe) et menaçant l’érosion graduelle des accords existants faute de mécanisme d’actualisation.
C’est dans ce contexte qu’un nouveau “paquet Suisse-UE” a été négocié en 2024-2025 pour « stabiliser et développer » les relations bilatérales. Le Conseil fédéral (gouvernement suisse) a privilégié une approche sectorielle plutôt qu’un traité-cadre global[3]. Les négociations intenses (197 séances) ont abouti en décembre 2024, et le 13 juin 2025 le Conseil fédéral a approuvé les textes négociés avec Bruxelles et lancé une consultation nationale[4][5]. L’objectif affiché est de mettre à jour les accords existants vieux de 20 ans et de conclure de nouveaux accords dans des domaines stratégiques, tout en maintenant l’« équilibre » entre l’intérêt suisse d’un accès sur mesure au marché européen et l’exigence de l’UE d’une application uniforme des règles du marché intérieur[6]. Officiellement, Berne présente ce paquet d’accords comme une continuité de la voie bilatérale et non un changement de cap : il s’agit de sécuriser la prospérité de la Suisse en renforçant les liens avec un partenaire incontournable, dans une Europe voisine qui partage en principe des valeurs communes[7][8]. Le gouvernement avertit qu’une absence d’accord conduirait à une érosion du statut quo, avec un accès au marché de plus en plus limité au fil du temps[9].
Cependant, ce projet intervient alors que l’Europe traverse des crises multiples. L’UE est confrontée à des difficultés économiques et sociales (croissance atone, endettement, inflation récente, chômage persistant dans certains pays), à des divisions politiques internes (montée des mouvements populistes et eurosceptiques, désaccords sur la politique migratoire), sans oublier les turbulences géopolitiques comme la guerre en Ukraine. En tant que Suisses attachés à l’indépendance du pays, « cette Europe qui va mal » n’a pas de quoi inspirer confiance. Nous estimons que la Suisse doit rester singulière et maîtresse de son destin, au lieu de s’aligner sur un bloc en crise. Ce sentiment s’enracine dans notre dimension identitaire et conservatrice, héritière de valeurs judéo-chrétiennes et des fortes valeurs morales qui ont façonné l’Europe pendant deux millénaires. Nous sommes inquiets de la montée de mouvements « progressistes » qui cherchent à déconstruire cet héritage culturel et spirituel. C’est dans cet état d’esprit qu’à l’UDF, nous posons les bases de notre critique farouche du paquet d’accords Suisse-UE à l’instar du premier parti du pays, l’UDC. La question dépasse largement la technique diplomatique : elle touche à la souveraineté nationale et aux fondements mêmes de l’identité suisse, fondée sur la liberté, la démocratie directe et le fédéralisme.
Contenu du « paquet Suisse-UE » négocié en 2025
Afin d’être tout à fait transparent sur le sujet, et bien que celui-ci soit d’une incroyable complexité, bien voulu, je vous propose une synthèse de la plupart des points contenus dans cet accord. Vous pouvez bien entendu les sauter et passer directement à la conclusion.
Le paquet d’accords Suisse-UE initialisé en 2025 est volumineux et complexe – il compte près de 1 800 pages de traités, plus des centaines de pages d’annexes reprenant le droit de l’UE[10]. Il comprend à la fois des accords internationaux avec l’UE et les modifications législatives internes nécessaires à leur mise en œuvre, dont des mesures d’accompagnement destinées à protéger les intérêts suisses (par exemple en matière de marché du travail). Voici les principaux éléments de ce paquet :
- Mise à jour des accords existants (Bilatérales I) : Les accords d’accès au marché conclus en 1999 (les « Bilatérales I ») seraient actualisés. Par exemple, l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) – qui permet aux citoyens suisses et européens de s’établir et travailler réciproquement – est adapté. Une nouveauté importante est l’introduction d’une clause de sauvegarde : en cas de problèmes économiques ou sociaux graves liés à la libre circulation, la Suisse pourrait, à défaut de solution négociée avec l’UE, saisir un tribunal arbitral de manière unilatérale pour obtenir des mesures correctives[11][12]. Autrement dit, un mécanisme d’urgence est prévu pour freiner temporairement l’immigration si des circonstances exceptionnelles le justifient – un moyen pour Berne de montrer qu’elle a entendu les inquiétudes de sa population à ce sujet. En outre, certaines garanties existantes sont confirmées : la Suisse conserve la possibilité d’expulser du territoire des citoyens de l’UE sous certaines conditions (par ex. en cas d’abus ou de menace à la sécurité), et le droit de séjour permanent n’est accordé qu’aux personnes ayant résidé cinq ans en Suisse et exercé une activité professionnelle durant cette période[13]. D’autres ajustements protègent le système social suisse, comme la possibilité de retirer le droit de séjour à un ressortissant européen qui refuse de coopérer avec l’office régional de placement (ORP) en cas de chômage[14]. Enfin, l’égalité de traitement est renforcée concernant les étudiants (frais d’université non discriminatoires réciproquement) tout en maintenant des restrictions suisses sur l’accès des étrangers aux immatriculations universitaires et bourses si nécessaire[15] (la proportion d’étudiants européens en Suisse devra rester au niveau actuel, avec un monitoring[16]).
- Trois nouveaux accords sectoriels ont été négociés pour développer la voie bilatérale[17]. Il s’agit de domaines jusqu’ici non couverts par des traités majeurs avec l’UE :
- Accord sur l’électricité : visant à intégrer la Suisse dans le marché électrique européen. La Suisse, géographiquement au cœur du réseau continental, échange déjà de l’énergie avec les pays voisins, mais sans cadre juridique formel depuis l’expiration de certains accords techniques. Ce nouvel accord doit assurer la sécurité d’approvisionnement et la participation de la Suisse aux mécanismes du marché électrique de l’UE (gestion des flux, réserves, échanges transfrontaliers). Il impliquera vraisemblablement l’adoption par la Suisse de nombreuses normes techniques et réglementations européennes en matière d’électricité (marché de l’énergie, transport, énergies renouvelables, etc.), avec un mécanisme de mise à jour automatique de ces règles. Ce point suscite des réserves même parmi les acteurs suisses de l’énergie : si le secteur électrique se montre globalement favorable à un accord qui stabiliserait les échanges, l’Association des entreprises électriques suisses a d’ores et déjà prévenu qu’elle « rejette la mise en œuvre de l’accord, jugée inacceptable, si elle contient des conditions plus strictes que celles de l’UE »[18][19]. Autrement dit, les électriciens suisses soutiennent l’objectif d’intégration au marché européen, mais refusent que la Suisse subisse des obligations supplémentaires par rapport à un État membre standard. Notons que la Fondation suisse pour l’énergie a également exprimé son inquiétude de voir disparaître, dans le projet actuel, certaines mesures de soutien aux petites installations solaires – comme la rémunération minimale garantie pour les petits panneaux photovoltaïques – ce qui pourrait freiner le développement des renouvelables[20]. Ces critiques illustrent comment l’alignement sur l’UE pourrait entrer en conflit avec des choix de politique énergétique helvétiques plus protecteurs de certaines filières.
- Accord sur la santé : centré sur la sécurité sanitaire et la coopération en matière de santé publique. Ce volet permettrait à la Suisse de participer au programme européen EU4Health et d’accéder aux ressources du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC)[21][22]. Concrètement, la Suisse pourrait bénéficier à l’échelle européenne de financements, d’expertises et de réseaux pour mieux protéger la santé de sa population (par exemple en cas de pandémie). Ce rapprochement a été inspiré par les enseignements de la crise du COVID-19, où une coordination internationale renforcée est apparue nécessaire. Importamment, cet accord santé a un champ limité : il n’englobe pas des domaines sensibles tels que la réglementation du tabac ou les droits des patients en matière de soins transfrontaliers[22]. Ces sujets restent en dehors du champ d’application, préservant ainsi l’autonomie suisse sur des aspects centraux de sa politique de santé (organisation du système de soins, assurance maladie, etc.). Le gouvernement souligne donc que « la Suisse continuera à décider de manière autonome et souveraine » des mesures internes de santé publique[23]. Ce cadre restreint vise à rendre l’accord politiquement acceptable en Suisse : il s’agit surtout de mutualiser la surveillance des maladies et les réponses aux urgences sanitaires**, sans toucher aux prérogatives nationales sur le reste.
- Accord sur la sécurité alimentaire : destiné à faciliter les échanges de produits agroalimentaires en harmonisant les normes sanitaires et phytosanitaires. La Suisse alignerait ses règles de sécurité alimentaire sur celles de l’UE (par exemple les standards vétérinaires, le contrôle des denrées, la traçabilité, etc.), afin d’éviter les entraves techniques au commerce de produits agricoles et alimentaires. Cela offrirait aux exportateurs suisses (fromages, viandes, chocolat, etc.) un accès simplifié au marché de l’UE, et réciproquement garantirait que les produits importés respectent les mêmes exigences que celles imposées aux producteurs suisses. Toutefois, cet accord implique une reprise dynamique du droit européen dans un domaine évolutif, ce qui suscite l’inquiétude des agriculteurs suisses. L’Union suisse des paysans a indiqué soutenir le renforcement des relations bilatérales, mais « compte tenu de la reprise dynamique du droit prévue dans l’accord sur la sécurité alimentaire et du mécanisme concernant les mesures de compensation », elle demande que la branche agricole soit mieux prise en considération[24]. En clair, les paysans craignent que de futures règles européennes – décidées sans eux – viennent contraindre leurs pratiques ou augmenter leurs coûts de mise aux normes. Le mécanisme de compensation fait référence au système de sanctions ou de contre-mesures si la Suisse n’applique pas une évolution du droit de l’UE : par exemple, si une nouvelle norme alimentaire européenne entrait en vigueur et que la Suisse refusait de l’adopter, Bruxelles pourrait prendre des mesures de rétorsion (restriction sur les exportations agricoles suisses, tarifs, etc.). Les représentants des agriculteurs réclament donc des garanties ou des appuis financiers pour atténuer l’impact de telles contraintes. Un exemple brandi par les opposants est que « l’UE veut mettre la main sur notre miel », allusion à la crainte que des règles européennes sur les produits apicoles ne viennent perturber la production locale de miel ou l’usage d’étiquettes “miel suisse”. Au-delà de l’anecdote, cela symbolise la peur que des traditions et productions locales** subissent la standardisation bruxelloise.
- Accès aux programmes européens et contributions financières : Une part essentielle du paquet vise à « stabiliser » la voie bilatérale en garantissant la participation de la Suisse aux grands programmes de coopération de l’UE et en réglant la question de la contribution financière helvétique. Les textes négociés prévoient ainsi l’association formelle de la Suisse à Horizon Europe (programme de recherche scientifique), à Erasmus+ (échanges académiques) ainsi qu’au programme Digital Europe et à Euratom[25]. Dès le 1er janvier 2025, les chercheurs et innovateurs suisses peuvent de nouveau accéder à la quasi-totalité des appels d’offres d’Horizon Europe et d’Euratom[25], alors que la Suisse avait été mise à l’écart de ces projets après 2021. Pour cela, la Suisse accepte de payer une contribution annuelle aux budgets de ces programmes, calculée au prorata de son PIB comme pour d’autres pays associés (par ex. la Norvège ou Israël). Plus largement, un accord est trouvé sur le versement régulier d’une « contribution suisse » en faveur de la cohésion européenne – en quelque sorte un droit d’entrée au marché intérieur. Selon les chiffres annoncés, la Suisse devra verser jusqu’à 350 millions de francs par an pour accéder au marché européen[26]. Sur 10 ans, cela représenterait 3,5 milliards de francs, soit l’équivalent de plus de deux « milliards de cohésion » (ces fonds que la Suisse a versés ponctuellement par le passé pour soutenir les nouveaux États membres de l’UE). Aux yeux du Conseil fédéral, cet investissement financier est le prix à payer pour participer aux programmes de recherche, d’innovation et de coopération qui profitent à la Suisse, et pour maintenir un accès privilégié au marché de l’UE – son principal partenaire économique. Il souligne que ce montant reste sans commune mesure avec le coût d’une adhésion à part entière à l’UE, et que la Suisse conserve la maîtrise de l’affectation de ces contributions. Néanmoins, pour les détracteurs du projet, ces versements réguliers s’apparentent à une dîme envers Bruxelles : « La Suisse doit verser des milliards à Bruxelles », résume l’UDC dans sa campagne[27]. Cette somme nourrit le sentiment de financer une UE en difficulté, d’autant qu’elle pourrait augmenter à l’avenir en cas d’élargissement des accords ou de croissance du PIB.
- Mécanismes institutionnels transversaux : Le paquet d’accords intègre enfin des « solutions institutionnelles » visant à régler la question de l’adaptation du droit et du règlement des litiges, point névralgique pour l’UE. Plutôt qu’un accord-cadre unique, l’approche sectorielle choisie signifie que chaque accord comporte ses propres dispositions institutionnelles, calquées sur un modèle commun. Concrètement, la Suisse devra reprendre de manière dynamique un ensemble de normes de l’UE dans chacun des domaines couverts, avec la mise en place de comités mixtes Suisse-UE pour superviser l’évolution de l’accord. En cas de modification de la législation européenne pertinente, la Suisse sera tenue de l’intégrer dans son droit interne pour maintenir un accès sans obstacle au marché concerné[28]. Le paquet comprend ainsi 95 actes législatifs de l’UE identifiés comme « importants pour la Suisse » et qui devront être adoptés ou déjà appliqués[29]. De plus, un mécanisme de règlement des différends est prévu : en cas de litige sur l’interprétation ou l’application d’un accord, un tribunal arbitral paritaire sera institué. Toutefois – et c’est le point crucial – si le différend porte sur l’interprétation du droit européen repris, ce « tribunal » devra obligatoirement consulter la Cour de justice de l’UE (CJUE) et se conformer à son arrêt[30]. Autrement dit, la CJUE aura le dernier mot dès qu’une question de droit européen est en jeu, et sa décision sera contraignante pour la Suisse[30]. Ce schéma est similaire à celui envisagé dans l’accord-cadre de 2018, même si certains détails ont pu être ajustés. Enfin, si la Suisse ne reprend pas une évolution du droit de l’UE dans un domaine couvert, l’accord prévoit que l’UE pourra adopter des mesures compensatoires (sanctions proportionnées) après arbitrage. Ce mécanisme vise à protéger l’intégrité du marché intérieur aux yeux de Bruxelles, en évitant que la Suisse obtienne un avantage compétitif indu en s’exemptant d’une règle commune. Pour Berne, il a fallu en échange introduire des soupapes visant à protéger ses intérêts vitaux : on a mentionné plus haut la clause de sauvegarde sur l’immigration, mais il existe aussi par exemple une « clause de non-régression » en matière de protection des salaires – la Suisse ne serait pas obligée d’adopter une modification du droit de l’UE qui affaiblirait la protection des salaires chez elle[31][32]. Ce type de disposition asymétrique assure que seul le niveau le plus élevé de protection s’applique, afin de rassurer les partenaires sociaux suisses. De plus, les fameuses mesures d’accompagnement relatives au marché du travail ont été en partie préservées : la Suisse a consenti à réduire le délai de préavis imposé aux entreprises européennes détachant des travailleurs en Suisse de 8 jours à 4 jours pour les secteurs dits à risque (construction, artisanat, etc.), mais elle garde la maîtrise de la définition des secteurs à risque et de la fréquence des contrôles[33][34]. Par ailleurs, elle a obtenu de pouvoir imposer des cautions aux prestataires étrangers en cas d’infractions répétées, avec la menace d’une interdiction d’exercer en Suisse en cas de non-paiement[35]. Une obligation de documentation a également été instaurée pour les faux indépendants afin de lutter contre les abus[35]. Au total, le projet comprend une batterie de 14 mesures nationales destinées à garantir le maintien d’une concurrence loyale et de bonnes conditions de travail sur sol suisse[32]. Ces compromis sur les mesures d’accompagnement étaient cruciaux pour obtenir le soutien – encore prudent – des syndicats : l’Union syndicale suisse (USS) et Travail.Suisse ont fait savoir qu’ils « soutiennent globalement les accords, à condition que le Parlement approuve sans réserve les mesures prévues pour protéger les salaires en Suisse »[36][37]. Du côté des employeurs, on juge également que « les avantages l’emportent clairement » et l’Union patronale suisse soutient le paquet[38], tout en émettant des réserves sur une concession faite aux syndicats (un renforcement de la protection contre le licenciement jugé trop rigide)[39]. Quant aux cantons (gouvernements cantonaux), directement concernés par l’application de nombreuses dispositions, ils approuvent unanimement le paquet qu’ils considèrent « conforme à leurs attentes et consolidant à long terme les relations bilatérales », mais exigent d’être étroitement associés à sa mise en œuvre, notamment dans les processus d’élaboration des futurs développements du droit européen[40][41]. Le Conseil fédéral a d’ailleurs promis en octobre 2025 de formaliser un accord avec les cantons pour renforcer leur participation et leur information dans la politique européenne, avant même la transmission du message final au Parlement[42].
En résumé, aux yeux de ses promoteurs, ce paquet Suisse-UE est un compromis équilibré. Il permet à la Suisse de pérenniser son accès au marché européen et aux programmes-clés (science, éducation, énergie), d’étendre la coopération à de nouveaux domaines stratégiques, et d’ainsi sécuriser sa prospérité et sa sécurité pour l’avenir[43]. Le tout sans adhérer à l’UE, sans changer de modèle politique, et même en obtenant des aménagements spécifiques (clause de sauvegarde, exclusions en santé, protection des salaires renforcée dans le droit interne, etc.) censés préserver la souveraineté sur l’essentiel. Le Conseil fédéral affirme qu’il ne s’agit pas d’une porte d’entrée cachée dans l’UE mais bien de la continuation pragmatique de la voie bilatérale qui a fait ses preuves[7]. Les milieux économiques, de leur côté, saluent majoritairement un accord vital pour éviter l’isolement de l’économie suisse. D’après un premier bilan de la consultation fin octobre 2025, la plupart des partis politiques (hormis l’UDC/UDF) et des associations soutiennent le paquet ou au minimum le considèrent positivement[44][45]. Le PLR (droite libérale), les Verts et les Vert’libéraux, notamment, ont apporté un appui clair sur le fond en estimant que ce renouvellement des Bilatérales allait dans la bonne direction[46]. Néanmoins, ces partis – tout comme les cantons – souhaitent que la ratification finale passe par un référendum populaire (idéalement facultatif) afin de légitimer démocratiquement ce choix majeur[46]. L’hypothèse est qu’un vote pourrait avoir lieu vers 2027, une fois le Parlement fédéral saisi du dossier en 2026 et si, comme attendu, un référendum est déclenché par les opposants ou par prudence politique[47]. C’est dire l’importance historique de ce paquet : il fera vraisemblablement l’objet d’une validation directe par le peuple suisse, souverain ultime en la matière.
Menaces pour la souveraineté nationale et la démocratie directe
Malgré les justifications officielles, une vive opposition s’est constituée, emmenée par l’UDC, pour qui ces nouveaux accords équivalent ni plus ni moins à un « traité de soumission » ou un « traité colonial » plaçant la Suisse sous tutelle de Bruxelles[45]. Les critiques formulées touchent au cœur de la souveraineté nationale et de la capacité des Suisses à décider eux-mêmes de leurs lois et de leur avenir. Voici les principaux griefs des opposants, tels qu’ils les expriment dans le débat public :
- Reprise automatique du droit de l’UE : Le paquet forcera la Suisse à « reprendre automatiquement le droit de l’UE » dans de nombreux domaines[48]. Ce qui était auparavant négocié au cas par cas deviendrait un processus quasi automatique, certes encadré par des comités mixtes mais sans possibilité pour la Suisse de refuser une nouvelle règle sans conséquences. Pour les sceptiques, c’est une perte nette de souveraineté législative. Ils rappellent que la Suisse a sa propre procédure démocratique pour faire les lois – avec consultations, débats parlementaires, et surtout référendums possibles. Or, si la Suisse s’engage à transposer fidèlement des décisions prises à Bruxelles, ces droits populaires seraient court-circuités. L’UDC va jusqu’à affirmer que « les droits populaires et la démocratie directe seraient détruits » par cet accord[48]. En effet, si le peuple suisse votait une initiative allant à l’encontre d’un engagement pris envers l’UE, les autorités se retrouveraient dans l’impossibilité de l’appliquer sous peine de sanctions internationales. Le cas s’était déjà posé avec l’initiative « Contre l’immigration de masse » adoptée en 2014, que Berne n’avait pu mettre en œuvre strictement sans violer la libre circulation ; demain, prévient-on, toute divergence démocratique pourrait être bloquée d’emblée par l’accord. C’est pour cela que le camp adversaire insiste pour que la ratification du paquet, si elle devait se faire, exige non seulement la majorité du peuple (référendum facultatif) mais aussi celle des cantons (référendum obligatoire), compte tenu des transferts de compétences qu’il implique[45]. À leurs yeux, c’est un véritable changement de paradigme qui mérite le seuil le plus élevé de légitimité démocratique.
- Juges étrangers et fin de l’indépendance judiciaire : Le fait de se soumettre aux arrêts de la Cour de justice de l’UE est sans doute le point le plus symboliquement sensible. L’idée que des « juges étrangers auraient autorité sur notre sol » heurte de front la fierté indépendante des Suisses[49]. Historiquement, la Suisse a toujours refusé que des tribunaux étrangers tranchent des litiges internes – c’est même un des motifs pour lesquels elle n’a pas adhéré à l’UE ou à l’EEE, afin de conserver ses tribunaux suprêmes (Tribunal fédéral) comme arbitres ultimes. Or dans le paquet, « en cas de litige, c’est le tribunal de la partie adverse qui trancherait, soit donc la Cour de justice de l’UE », s’insurge l’UDC[49]. Thomas Aeschi, chef du groupe parlementaire UDC, martèle que « nous devons nous soumettre à la Cour de justice européenne » dans ce traité, ce qu’il appelle un « rattachement unilatéral à l’UE »[50][51]. Il souligne que le texte stipule noir sur blanc que les jugements de la CJUE lieront la Suisse[30]. Pour nombre de citoyens, c’est là un affront direct à l’esprit de 1291 : « En 1291, le message était clair : nous voulons décider nous-mêmes, nous ne voulons pas de juges étrangers », rappelle Aeschi en référence au serment du Grütli, pacte fondateur de l’indépendance confédérale[52]. Remettre une partie de la justice entre les mains d’un tribunal étranger est perçu comme une atteinte à la souveraineté juridique, d’autant que la CJUE n’est pas un tribunal arbitral neutre mais bien l’institution garante des intérêts de l’UE. De plus, l’opacité du droit européen, fait de milliers de règlements et de directives, fait craindre des jugements imprévisibles. Les opposants soulignent que la Suisse devrait même se plier à l’interprétation qu’a la CJUE de l’acquis passé : « la Suisse devrait reprendre tous les arrêts de la CJCE de 1999 à aujourd’hui », note Aeschi, ce qui revient à accepter rétrospectivement 25 ans de jurisprudence européenne accumulée[53]. Ils dénoncent un tribunal arbitral factice – « une blague » selon Aeschi – puisque de toute façon le dernier mot reviendra aux juges de l’UE[53]. Pour le camp du “non”, c’est là la fin de l’indépendance du système juridique suisse sur les pans concernés.
- Immigration incontrôlée et pression sur le système social : L’immigration de main-d’œuvre européenne est au cœur des préoccupations souverainistes. La libre circulation des personnes, en vigueur depuis 2002, a sans conteste entraîné une forte hausse de la population résidante d’origine européenne en Suisse (actuellement environ 1,4 million de citoyens de l’UE vivent en Suisse, sur 8,7 millions d’habitants). Les opposants au paquet estiment que celui-ci non seulement reconduit la situation actuelle, mais aggrave encore les choses. Ils prédisent « une immigration encore plus massive et hors de contrôle »[54]. En effet, la clause de sauvegarde négociée est jugée inefficace voire illusoire : son activation dépendrait d’une procédure longue et aléatoire (passage devant un tribunal arbitral), autant dire que le robinet migratoire ne pourra être refermé à temps en cas de surchauffe. En attendant, la pression sur les infrastructures, le logement et l’aide sociale suisse continuerait de s’accentuer. L’UDC rappelle que le Conseil fédéral avait promis en 2002 que la libre circulation n’entraînerait qu’un solde migratoire modeste (quelques milliers de personnes par an), alors qu’aujourd’hui la Suisse enregistre un solde net de 60 000 à 70 000 immigrants par an en provenance de l’UE[55]. Cette explosion démographique alimente la crainte d’une « Suisse à 10 millions d’habitants » d’ici 2050, scenario que l’UDC combat via une initiative populaire actuellement pendante. En outre, l’accès des Européens aux prestations sociales suisses fait débat : le paquet ne semble pas introduire de restrictions majeures sur l’accès à l’aide sociale ou aux assurances sociales pour les ressortissants de l’UE en Suisse. Les adversaires du traité redoutent donc un effet d’appel d’air : la Suisse, avec son niveau de vie et ses salaires élevés, continuerait d’attirer une immigration importante, y compris des personnes susceptibles de profiter de son généreux filet social. Si un jour le peuple suisse voulait « limiter l’immigration par la voie démocratique », par exemple en imposant des quotas annuels, « l’UE pourrait punir notre pays par des sanctions et des amendes », avertit l’UDC[56][30]. Cette possibilité de représailles figure en effet dans le texte : en cas de manquement de la Suisse, l’UE pourrait, après arbitrage, appliquer des mesures correctives. Aux yeux des opposants, c’est un chantage inacceptable qui prive la Suisse de la maîtrise de sa politique migratoire. Pour reprendre leurs mots, « si nous, les citoyens, décidons autrement que ce que veut l’UE, l’UE peut nous punir »[57]. La politique d’asile et Schengen ne sont pas formellement dans le paquet (ce sont des accords séparés), mais on notera que la crise migratoire actuelle en Europe renforce l’hostilité d’une partie de l’opinion à tout ce qui pourrait encore réduire la capacité de la Suisse à contrôler ses frontières.
- Contributions financières et bureaucratie bruxelloise : Le volet financier du paquet alimente également la contestation. L’idée de payer 350 millions par an est présentée par l’UDC comme un tribut lourd et inutile. « La Suisse reprendrait toute la bureaucratie de l’UE à sa charge », clame le parti[48], en sous-entendant que non seulement il faudra payer, mais qu’en plus l’économie suisse devra supporter le fardeau des normes et procédures administratives européennes. Effectivement, s’aligner sur les règles de l’UE signifie appliquer chez nous des réglementations parfois complexes, remplir de nouvelles obligations de reporting, financer des organes de surveillance, etc. Les adversaires parlent à cet égard d’un “monstre bureaucratique” : « J’ai imprimé l’ensemble du paquet européen. Une pile de plus de 1800 pages, à laquelle s’ajoutent des centaines de règlements européens. C’est un monstre de bureaucratie sans précédent », s’insurge Thomas Aeschi[58]. Ce flux de nouvelles normes pourrait, selon eux, étouffer les PME suisses sous la paperasse, réduire la souplesse du marché du travail et en général européaniser à l’excès un système suisse jusqu’ici plus libéral et allégé. Par ailleurs, la contribution financière annuelle est perçue comme de l’argent perdu pour la Suisse : ces sommes iraient alimenter des projets européens sans retour clair, ou pire, renflouer les caisses d’États jugés dispendieux. Les opposants y voient une forme de solidarité forcée contraire aux intérêts nationaux. Il convient de noter que cette rhétorique « ni argent ni ordre de Bruxelles » a toujours été un leitmotiv des campagnes contre l’intégration européenne en Suisse et refait surface logiquement face à ce nouveau paquet.
- Atteintes à l’autonomie cantonale et locale : Un aspect moins médiatisé mais présent dans le discours des détracteurs est la crainte d’une érosion du fédéralisme helvétique et des compétences cantonales/communales. En suisse, de nombreux domaines (comme l’aménagement du territoire, l’éducation, les services publics locaux) relèvent des cantons ou des communes. Une intégration plus poussée à l’UE pourrait, pense-t-on, imposer des normes uniformes qui ne tiendraient pas compte des spécificités locales. Par exemple, l’UDC genevoise s’est inquiétée de savoir si « les communes pourront encore construire un terrain de foot librement » – allusion aux règles de concurrence européenne qui, si elles devaient être appliquées strictement, exigeraient par exemple de lancer des appels d’offres publics à l’échelle internationale pour des projets même locaux, ou interdiraient certaines subventions communales assimilées à des aides d’État. De même, les opposants redoutent que la Suisse doive renoncer à des instruments qui fonctionnent bien chez elle, comme les banques cantonales (garanties par l’État cantonal, ce que l’UE assimile à une aide d’État interdite). En somme, ils dénoncent le risque d’une uniformisation technocratique venant de l’UE, qui rognerait la riche diversité du modèle suisse, décentralisé et fondé sur la démocratie de proximité.
En combinant ces éléments, les critiques voient dans le paquet Suisse-UE une véritable menace pour une partie de la souveraineté nationale. Toutes ces mesures, prises ensemble, signifieraient selon eux la « soumission totale de la Suisse à l’UE »[59]. À leurs yeux, accepter ce traité reviendrait ni plus ni moins qu’à adhérer à l’Union européenne sans le dire – d’où leur appellation de « traité d’adhésion » dans leurs communiqués[60]. Cette rhétorique vise à frapper l’imaginaire : l’UDC et d’autres opposants comparent volontiers ce paquet à un abandon de la neutralité et de la liberté chèrement acquises au fil des siècles. Ils accusent ses partisans de brader l’héritage des ancêtres. Un éditorial du principal parti d’opposition avertit par exemple : « Ce traité colonial marque la fin de la voie bilatérale », arguant que la relation d’égal à égal construite avec l’UE depuis les années 1990 laisserait place à un rapport de sujétion[45].
Valeurs helvétiques vs. agenda progressiste européen : un choc culturel latent
Derrière les arguments concrets sur les lois et les juges, il y a en filigrane un choc des valeurs. La Suisse s’enorgueillit d’un attachement viscéral à certaines valeurs fondatrices : la liberté individuelle, la responsabilité citoyenne dans la démocratie directe, le respect des traditions locales et, pour une partie de la population, la préservation d’un socle judéo-chrétien dans la morale publique. Cette identité, forgée au cours de l’histoire particulière de la Confédération (alliances de montagnards indépendants, Réforme protestante, neutralité, etc.), semble aujourd’hui mise au défi par l’évolution de l’Europe. A nos yeux, l’Union européenne incarne ni plus ni moins qu’un projet post-national technocratique déconnecté de ses racines culturelles. Pour exemple le refus de l’UE d’inscrire les racines chrétiennes de l’Europe dans ses traités, ou la promotion par Bruxelles de certaines politiques « sociétales » très progressistes (sur les questions de genre, de morale sexuelle, etc.) qui rompent avec les normes traditionnelles. Sans entrer dans le détail de ces débats, on constate que la méfiance envers l’UE n’est pas qu’économique ou politique – elle est aussi identitaire. On peut considérer le paquet d’accords comme le cheval de Troie d’une influence plus vaste : celle d’une Europe en crise de valeurs, qui renie le message d’espérance judéo-chrétien et favorise le relativisme moral au nom du progressisme.
Car, et nous le dénonçons régulièrement, les mouvements progressistes au sein de l’Europe (et leurs relais en Suisse même, dans les milieux de gauche et du centre) s’obstinent à détruire l’héritage civilisationnel qui a maintenu la cohésion de l’Europe pendant des siècles. Cette dénonciation n’est pas abstraite, mais elle s’exprime concrètement par la crainte fondée que l’intégration européenne va accélérer en Suisse des changements de société non désirés. Qu’adviendra-t-il, de la liberté d’expression si la Suisse doit appliquer d’éventuelles législations européennes contre les discours jugés “haineux” ? Quid de la liberté religieuse et de la place des traditions (par exemple, pourrait-on encore afficher des symboles juifs ou chrétiens, parler des fêtes ou sonner les cloches librement si un jour une norme européenne l’interdisait quelque part) ? Même si le paquet d’accords ne traite pas de ces sujets – ils en décrivent l’état d’esprit général. Pour nous, il s’agit d’un refus global : refus de diluer l’âme suisse dans un ensemble européen en déclin. La Suisse peut et doit demeurer un îlot de liberté, de prospérité et de stabilité précisément parce qu’elle a su jusqu’ici garder ses distances avec l’UE et préserver son modèle unique. L’UE est enfoncée dans toutes sortes de difficultés (Brexit, endettement de certains États du sud, tensions Est-Ouest, etc.) preuve que « ça va mal en Europe », et que la Suisse a tout intérêt à ne pas lier son sort trop étroitement à un navire à la dérive.
Perspectives : un choix de civilisation pour la Suisse
L’étude approfondie du paquet d’accords Suisse-UE révèle qu’il s’agit bien plus que d’un simple ajustement technique de traités commerciaux. C’est un véritable choix de société qui se profile. D’un côté, embrasser ce paquet signifierait s’inscrire davantage dans l’interdépendance européenne, avec ses avantages économiques (accès aux marchés, aux programmes, coopération renforcée) mais aussi ses contraintes sur la souveraineté et l’autonomie décisionnelle. De l’autre, le refuser reviendrait à assumer une voie plus solitaire, avec peut-être le risque de voir se dégrader progressivement l’intégration économique dont la Suisse bénéficie, mais en préservant une plus grande liberté de manœuvre nationale. Il faut du courage pour fermer ses oreilles à toutes ces menaces les plus sombres les unes que les autres. Mais il faut aussi savoir à qui nous voilons faire confiance ? Au technocrates de Bruxelles ou à notre D.ieu ?
Les partisans du paquet affirment que la Suisse, petite nation de 8,7 millions d’habitants entourée par l’UE, n’a pas le luxe de l’isolement : elle doit ancrer ses relations dans un cadre sûr et stable, et ce compromis négocié de haute lutte sert l’intérêt national en évitant un affaiblissement graduel de la voie bilatérale[9]. Ils rappellent que la prospérité helvétique repose en bonne partie sur l’accès au marché européen (qui absorbe la moitié des exportations suisses) et que des secteurs entiers – la recherche scientifique, l’électricité, la santé publique – gagneront à cette coopération formalisée. En somme, pour eux, ce paquet renforce la Suisse, en la dotant d’un partenariat modernisé avec un voisinage fiable et en lui permettant de relever les défis internationaux à plusieurs plutôt que seule[61]. Ils balaient les accusations de “soumission” en soulignant les clausules de sauvegarde et exceptions obtenues, preuve que la Suisse a négocié ferme pour respecter ses lignes rouges. À les entendre, la démocratie directe n’est pas abolie : le peuple aura son mot à dire en votation, et ensuite la Suisse restera libre de dénoncer les accords si un jour ils devaient aller à l’encontre de sa volonté populaire – un droit souverain inaliénable.
En tant qu’opposants, nous estimons que ces belles promesses n’occultent pas la perte de maîtrise qu’impliquerait l’accord. Nous appellons à une ferme résistance pour conserver une Suisse souveraine, neutre et maîtresse de ses lois. Il vaut mieux encore subir quelques hypothétiques difficultés économiques passagères – voire affronter un bras de fer avec Bruxelles – que de renoncer à ce qui fait l’originalité du pays. La Suisse s’est construite contre les empires, que ce soit l’Autriche des Habsbourg ou d’autres puissances, et ce n’est pas le moment de céder à un empire technocratique moderne. Ce que nous rejetons c’est cette Europe-là, bureaucratique, centralisatrice et oublieuse de ses racines.
Le débat est donc à la fois pragmatique et identitaire. D’ici le vote décisif (probablement en 2026-2027), une intense campagne d’information et de persuasion aura lieu. Chaque camp tentera de convaincre les citoyens soit de la nécessité d’évoluer avec son temps en actualisant les accords (sous peine de déclin économique), soit de l’impératif de défendre la liberté helvétique envers et contre tout (quitte à bousculer l’ordre établi). Le Conseil fédéral, pour sa part, devra répondre aux préoccupations et éventuellement renégocier certains détails à la marge pour rallier une majorité. Il n’est pas exclu que des aménagements supplémentaires soient apportés – par exemple, un engagement unilatéral de la Suisse à mieux associer les cantons et le Parlement à la reprise du droit européen, ou des garanties financières aux secteurs fragilisés – afin de rendre le paquet plus digeste politiquement[42].
En dernière analyse, la question posée aux Suisses sera la suivante : jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour maintenir nos liens avec l’Europe ? S’agit-il d’un sacrifice raisonnable ou d’un abandon de souveraineté trop dangereux ? Les enjeux sont énormes, car au-delà des considérations économiques immédiates, c’est la définition même de la Suisse – son modèle politique unique, ses valeurs et son rôle dans une Europe en crise – qui est en jeu. Si la réponse est NON à ce paquet, la Suisse choisira de s’en tenir à sa singularité, quitte à affronter une période d’incertitude dans ses relations européennes. Si la réponse est OUI, le pays s’engagera sur une voie nouvelle d’intégration maîtrisée, en misant sur la coopération plutôt que l’isolement, tout en espérant que les garanties obtenues suffiront à protéger son identité nationale.
Comme souvent en Suisse, le peuple tranchera en dernier ressort, exerçant cette souveraineté populaire à laquelle il tient tant. Et quel que soit le résultat, il enverra un message fort sur la direction que la Confédération entend prendre au XXIe siècle dans le concert européen – en leader libre et fier de ses valeurs, ou en partenaire engagé prêt à des concessions pour l’intérêt commun. Les mois à venir verront se cristalliser ce choix de civilisation, dans un débat passionné où s’opposent deux visions de l’avenir du pays. En fin de compte, et pour reprendre les termes d’un communiqué souverainiste, « il n’y a qu’une seule réponse possible à ce traité monstrueux : un NON catégorique », car « il en va de notre Suisse unique »[62][63]. Reste à savoir si cette exhortation l’emportera sur la peur du repli et le désir de stabilité. La décision appartient aux Suisses, jaloux de leur liberté – une liberté qu’ils entendent exercer pleinement en pesant en connaissance de cause le pour et le contre de ce paquet d’accords sans précédent.

